La décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010

Le salarié peut bénéficier d’une indemnisation complémentaire et une majoration de sa rente, lorsqu’il invoque près le TASS, la faute inexcusable de l’employeur.

Ce résultat «  favorable  » résulte d’une lente évolution jurisprudentielle.

Rappel historique

indemnisation complémentaireJusqu'au 15 juillet 1941 (Arrêt Villa) « la faute inexcusable retenue par l’article 20-3 de la loi du 9 avril 1898 doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant (de la faute intentionnelle) par le défaut d’un élément intentionnel ».

La Cour de Cassation imposait ces conditions à titre cumulatif. La victime salariée se trouvait défavorisée par rapport au droit commun car elle devait rapporter la preuve de l’exceptionnelle gravité. Ce dernier élément de fait demeurait subjectif.

En 2002, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a modifié ce postulat puisqu’elle précise  : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l’entreprise; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

A partir de 2002 la victime salariée n’a plus qu’à démontrer la conscience du danger qu’avait, ou aurait dû avoir son employeur et l’absence de mesures nécessaires prises pour le préserver.

En 2003 il a été acquis que la reconnaissance de la faute inexcusable entraînait de plein droit la majoration de la rente à son maximum au profit du salarié.

Tout compte fait, la majoration de la rente au taux maximum est une piètre réparation complémentaire pour le salarié victime d'un accident du travail / maladie professionnelle. Prenons l'exemple d'un salarié qui bénéficiait d'une rente de 10% . Contrairement à une idée reçue, il ne bénéficie pas d'une indemnisation correspondant à 10% du salaire annuel, mais en réalité de 5% de son salaire brut annuel. Si ce même salarié obtient du tribunal la faute inexcusable de l'employeur, sa majoration de rente au taux maximum va correspondre dans notre exemple à 10% de son salaire brut annuel. La rupture d'égalité est ici encore criante.

La Question Prioritaire de Constitutionnalité du 18 juin 2010  : une amélioration apparente de la situation des salariés victimes d'AT / MP

C'est le 18 juin 2010 que le Conseil Constitutionnel a jugé conforme à la constitution le régime de sécurité sociale en matière d’AT/MP  :

  • En ce qu’il substitue partiellement à la responsabilité de l’employeur et, qu’il réserve au salarié la possibilité d’agir contre ce dernier en cas de faute inexcusable ou intentionnelle.
  • En ce qu’il ne peut faire obstacle à ce que la victime puisse solliciter du TASS la réparation forfaitaire majorée mais l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Mais que recouvrent au juste les dommages non couverts par le livre IV ? Est-il question de ceux qui ne sont pas couverts du tout, ceux couverts partiellement ? L'imprécision ne manque pas de pénaliser encore le salarié.

A ce jour, tout ce qu'on peut dire sans prendre de risque est que les préjudices qui ne sont pas du tout couverts par le livre IV sont pris en compte en cas de faute inexcusable.

Les préjudices couverts depuis Juin 2010

Les préjudices couverts depuis la QPC du 18 Juin 2010

La 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation en 2012 s’inspirant de la nomenclature Dintilhac considère que les préjudices qui ne sont pas du tout indemnisés par le livre IV doivent l’être au titre de la faute inexcusable. La Chambre Civile se conforme en tout point aux sujétions du Conseil Constitutionnel.
A ce jour, les préjudices couverts au titre de la faute inexcusable sont  :

Pour les préjudices extrapatrimoniaux temporaires

  • Le déficit fonctionnel temporaire
  • Le préjudice esthétique temporaire

Pour les préjudices extrapatrimoniaux permanents

  • Le préjudice d’agrément
  • Le préjudice sexuel
  • Le préjudice d’établissement

Pour les préjudices patrimoniaux temporaires

  • Les frais divers

Pour les préjudices patrimoniaux permanents

  • Les frais de logement adapté
  • Les frais de véhicule adapté

Les préjudices non couverts depuis la QPC du 18 juin 2010

Pour les préjudices extrapatrimoniaux temporaires

  • La perte de gains professionnels actuels

Pour les préjudices extrapatrimoniaux permanents

  • Le déficit fonctionnel permanent
  • Les dépenses de santé futures
  • L’incidence professionnelle
  • L’assistance tierce personne
  • La perte de gains professionnels futurs

Pour les préjudices patrimoniaux temporaires

  • Les dépenses de santé actuelles

Pour les préjudices patrimoniaux permanents

  • L’assistance tierce personne

On considère ainsi que les préjudices liés à la perte de gains professionnels sont indemnisés, avant consolidation par les indemnités journalières, après consolidation par la rente ou le capital. Cette perte de gains couvre à la fois l’incidence professionnelle et la perte de gains au sens de la nomenclature Dintilhac. Elle est subordonnée à un taux d’IPP.
Depuis le 1er mars 2013, les victimes disposant d’un taux d’IPP > ou = à 80% bénéficient d’une prestation complémentaire lorsqu’elles justifient du besoin d’une aide humaine pour les actes de la vie quotidienne. Peut-être est-ce le prémisse d'une évolution favorable vers une indemnisation rejoignant celle du droit commun...

L’analyse n’est toutefois pas favorable aux salariés disposant de contrats atypiques en cette période économique troublée.

 

Lire la suite de cet article : Partie VI : Les incohérences du système d'indemnisation

 

SOMMAIRE DE L'ARTICLE :
Partie I : La rupture d'égalité en matière de réparation du dommage corporel entre victime salariée et victime de droit commun
Partie II : L’originalité de la réparation du préjudice corporel d’un accidenté du travail
Partie III : Contentieux et Indemnisation forfaitaire de l'accident du travail et de la maladie professionnelle
Partie IV : Des différences de traitements indemnitaires criantes en matière d'accident du travail et de maladie professionnelle
Partie V : Une indemnisation complémentaire possible en matière d'accident du travail depuis Juin 2010
PArtie VI : Les incohérences du système d'indemnisation