L’incidence professionnelle en cas de reprise ou non du travail
La nomenclature DINTILHAC prévoit que ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser « les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. »
Bien avant sa consécration par la nomenclature DINTILHAC, la question se posait de savoir si la nature du retentissement professionnel était exclusivement patrimoniale. En effet, le caractère économique ne fait pas débat lorsqu’il s’agit de réparer une évolution de carrière ou une dévalorisation sur le marché du travail mais il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de réparer une pénibilité accrue au travail (Gisèle MOR Evaluation du préjudice corporel Stratégie d’indemnisation et méthode d’évaluation 2014-2015).
De ce fait, la jurisprudence s’en tenait à la conception stricte de l’incidence professionnelle en refusant d’indemniser l’aspect relatif aux souffrances morales et aux conditions de travail. Grâce à la nomenclature DINTILHAC et à la doctrine, la jurisprudence a particulièrement évolué sur ces points.
À lire : Incidence professionnelle : réparation des conséquences sur la carrière.
L’appréciation de l’existence du préjudice incidence professionnelle
Le poste de l’incidence professionnelle est un poste polymorphe, recouvrant différents aspects.
Il faut néanmoins garder à l’esprit que ce poste a pour objet de « compléter ce qui a déjà été obtenu par la victime au titre du poste de gains professionnels futurs sans pour autant aboutir à une double indemnisation du même préjudice ».
Lorsque la victime allègue que les séquelles de l’accident l’empêchent d’exercer son activité professionnelle avec le même rendement ou qu’elle a perdu des chances de promotion, le médecin expert doit se prononcer, en restant sur le terrain strictement médical, sur la vraisemblance de ces difficultés compte tenu des séquelles présentées.
Dans ce contexte, il appartient à la victime de démontrer que son dommage entraîne des conséquences particulières dans sa sphère professionnelle.
L’analyse jurisprudentielle permet de constater qu’un taux de DFP faible n’empêche pas l’indemnisation de l’incidence professionnelle, la somme allouée pouvant d’ailleurs être conséquente.
Par exemple, dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Paris a alloué 154 000 € à une victime de 50 ans ayant un DFP de 7% et qui a été licenciée pour inaptitude au travail de son poste d’agent de sécurité.
L'évaluation en cas de reprise du travail
En cas de perte d'emploi consécutive à l'accident et dès lors que les séquelles n’empêche pas la victime d’exercer une autre activité rémunérée, l'appréciation du préjudice réellement subi se fera en fonction des éléments apportés par la victime. Plusieurs aspects peuvent être ainsi revendiqués par la victime.
1) La perte de chance professionnelle
Sont ainsi indemnisés au titre de l’incidence professionnelle le préjudice de carrière, la perte de chance de bénéficier de promotions, de profiter d’opportunités professionnelles, de faire évoluer son activité en se formant et de bénéficier des répercussions financières. Pour la jurisprudence, l’indemnisation au titre de ce poste de la perte de chance professionnelle d’accéder à des fonctions mieux rémunérées suppose que cette perte de chance soit sérieuse et suffisamment établie. En outre, la réparation de la perte d’une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
2) La pénibilité accrue au travail
Sont indemnisées au titre de l’incidence professionnelle les gênes ressenties par la victime dans son activité professionnelle. La victime doit néanmoins établir en quoi son dommage entraîne une pénibilité compte tenu de ses séquelles et de la nature des tâches qu’elle effectue. En cas de diminution du temps de travail du fait de cette pénibilité, l’indemnisation se fera également au titre des pertes de gains professionnels futurs.
3) La dévalorisation sur le marché du travail
Le rapport Dintilhac vise « le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail ». En effet, du fait de son handicap la victime peut être moins performante, plus exposée à un risque de perte d’emploi et à des périodes de chômage plus longues.
4) Le changement de profession
Le rapport Dintilhac cite le préjudice subi par la victime « qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap ». Peut ainsi être indemnisée la perte d’intérêt pour le travail lié à une reconversion. Le poste de préjudice patrimonial de l’incidence professionnelle inclut donc une dimension personnelle et extrapatrimoniale.
5) Les frais de reclassement professionnel, de formation, d’aménagement ou de changement de poste
Sont classés dans le poste de préjudice de l’IP « les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste assumés par la sécurité sociale et/ou par la victime elle-même », qui sont déboursés « immédiatement après que la consolidation de la victime soit acquise afin qu’elle puisse retrouver une activité professionnelle adaptée une fois sa consolidation achevée ».
6) La perte de points de retraite
Selon le rapport Dintilhac, est indemnisée au titre de l’incidence professionnelle
« la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite ».
Toutefois, lorsque la capitalisation de la perte de gains annuelle se fait sur une base viagère, le déficit de retraite est déjà pris en compte dans les pertes de gains professionnels futurs et aucun cumul avec la composante retraite de l’incidence professionnelle n’est possible.
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L'évaluation en cas d’impossibilité de reprise du travail
Il était un principe selon lequel l’indemnisation de la perte totale d'activité au titre des pertes de gains professionnels futurs implique l'absence d'indemnisation au titre de l'incidence professionnelle, sauf situations très particulières qu'il appartient à la victime de prouver.
La Doctrine a fortement fait évoluer cette conception. En effet, elle évoque deux aspects de ce poste de préjudice qui doivent être indemnisés ; le préjudice de carrière et le préjudice lié à l’inactivité totale autrement appelé le désœuvrement.
1) Le préjudice de carrière
Le préjudice de carrière peut être définit comme la perte de la chance professionnelle. C’est à dire, la perte de la chance de bénéficier de promotions, de profiter d’opportunités professionnelles, de faire évoluer son activité en se formant et de bénéficier des répercussions financières. L’indemnisation de ce poste suppose que cette perte de chance soit sérieuse et suffisamment établie.
La réparation de l’atteinte à la carrière de la victime au titre de l’incidence professionnelle ne semble pas poser de difficulté particulière comme l’a rappelé la deuxième chambre civile dans un arrêt récent en jugeant que la perte de chance d’une promotion professionnelle ne peut être réparée au titre des pertes de gains professionnels futurs puisque le salaire n’inclut pas, à l’évidence, les évolutions de carrière, il n’en est pas de même pour la perte totale de la faculté d’exercer une quelconque activité professionnelle.
Ce préjudice peut également être indemnisé même lorsque la victime est privée de toute capacité de gains. Il est alors caractérisé par la contrainte de renoncer à sa profession.
2) Le désœuvrement lié à l’impossibilité d’exercer un métier
Cet aspect de l’incidence professionnelle concerne ici le préjudice qui résulte de l’impossibilité pour la victime de réintégrer le monde du travail en raison des séquelles qu’elle présente. Celle-ci se voit contrainte de demeurer inactive ; il en découle plusieurs désagréments tant économiques que sociales. En effet, non seulement la victime se verra priver de revenus professionnels tout au long de sa vie mais devra également subir les aspects sociaux que cette mise à l’écart du monde du travail aura sur sa vie personnelle.
En effet, il ne fait pas débat que le propre de l’être humain est de vivre en communauté et de travailler pour subvenir à ses besoins. Or, ici la victime se voit privée de ses activités professionnelles et se voit mise au banc de la société.
Les critères d’évaluation de ce préjudice sont de plusieurs ordres. Seront, notamment, mis en évidence :
- L’âge de la victime : en effet ce préjudice n’aura pas le même impact selon que la victime sera jeune ou âgée ; si la victime est jeune ce préjudice sera d’autant plus grave que celle-ci devra subir les conséquences liées à l’inactivité pendant de nombreuses années, ce qui n’est pas le cas de la victime proche de la retraite et qui aura déjà vécu une vie professionnelle riche.
- Les efforts que la victime aura fait pour accéder à une vie professionnelle riche et ses capacités antérieures à l’accident.
- Les tentatives de reclassement, de formation de reconversion.
La jurisprudence admet de plus en plus cet aspect de l’incidence professionnelle. Elle évoque néanmoins, non un désœuvrement mais une anomalie sociale ou déchéance sociale pour indemniser ce préjudice.
Ainsi, la Cour de Cassation indemnise-t-elle la situation d’anomalie sociale que constitue la situation forcée de la victime qui demeure stigmatisée car sans emploi.
De la même manière, les Juges du fond ont pu juger que l’incidence professionnelle de la victime était caractérisée dès lors que cette dernière était privée de toute activité professionnelle et subissait, de ce fait, une perte de sociabilité par le travail.
A noter que cette position de la deuxième Chambre civile de la Cour de Cassation est à prendre avec précaution puisque la Chambre pose que l’impossibilité d’exercer une quelconque activité professionnelle ne constituerait plus un préjudice autonome mais devrait donc découler désormais d’une “situation d’anomalie sociale” pour pouvoir être caractérisé.
Quant est-il alors des autres aspects que procurent la valeur travail ? l’épanouissement personnel, la satisfaction personnelle du travailleur sont autant d’aspect qui ne sont pas, pour l’heure, pris en compte par la haute juridiction.
Le désœuvrement lié à l’impossibilité de travailler tel que caractérisé par Claudine BERNFELD n’est donc pas dans son intégralité à appréhender avec la notion d’anomalie sociale.
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