Le régime juridique français a commencé à se préciser mais reste technique : il combine la responsabilité civile générale, des règles pénales spécifiques et des obligations d’enregistrement (boîte noire / EDR).

1) Définitions utiles (niveaux d’autonomie)

  • Niveau 0–2 (assistance) : le conducteur reste principalement responsable ; le système aide (freinage autonome, maintien de voie) mais exige surveillance continue.

  • Niveau 3 (délégation conditionnelle) : le véhicule peut conduire seul dans certains contextes ; le conducteur doit pouvoir reprendre la main sous conditions.

  • Niveau 4–5 (hautement/autonome) : la responsabilité de la conduite peut, techniquement, être considérée comme transférée au système/constructeur selon les situations techniques et réglementaires.
Remarque : la qualification précise (niveau 3 vs 4) impacte directement les obligations réglementaires et la preuve à produire en cas d’accident de la route avec indemnisation.

2) Cadre juridique français applicable — synthèse

a) Responsabilité civile extracontractuelle (réparation du dommage)

Le droit commun de la responsabilité civile en cas d'accident (art. 1240 et suivants du Code civil) reste le point d’entrée : toute personne qui cause un dommage par sa faute, sa négligence ou son imprudence peut être tenue de réparer. Par ailleurs, la responsabilité du fait des choses (article 1242 et jurisprudence) permet d’engager la responsabilité du gardien d’une chose (ici le véhicule) sans rechercher une faute.

b) Régime pénal et règles spécifiques pour véhicules à délégation de conduite

La France a adopté une ordonnance (n° 2021-443) et des décrets d’application (notamment n°2021-873) qui précisent le régime de responsabilité pénale applicable aux véhicules à délégation de conduite et définissent des obligations opérationnelles pour leur mise en circulation et expérimentation. Ces textes organisent des règles pour déléguer la conduite, l’homologation et les conditions de mise en service.

c) Règles européennes et responsabilité du producteur (produit défectueux)

La directive européenne historique sur la responsabilité du fait des produits (85/374) et ses révisions récentes encadrent la responsabilité des producteurs (constructeurs) pour les produits défectueux — applicable notamment si le logiciel / système embarqué est défectueux et cause un accident. L’UE a par ailleurs modernisé ses règles de sécurité et d’homologation (règlements techniques et exigences d’enregistreurs de données).

3) Qui peut être tenu responsable ? (schéma pratique)

3.1 Le conducteur humain (faute ou non)

  • Si le véhicule fonctionnait en mode assistance (niveau 0–2) ou que la conduite exigeait la surveillance du conducteur (niveau 3 avec obligation de supervision), la responsabilité du conducteur peut être engagée en cas d’imprudence, d’inattention, alcoolémie, ou défaut de reprise du contrôle.

  • Même si l’ADAS a dysfonctionné, l’assureur du conducteur peut avancer une contestation (contributive) — mais la responsabilité finale dépendra de la preuve technique.

3.2 Le constructeur / éditeur du logiciel (responsabilité du fait du produit)

  • Si l’accident est causé par un défaut du système (capteur, algorithme, mise à jour logicielle défectueuse), la victime peut engager la responsabilité du producteur en application des règles de responsabilité du produit défectueux (directive européenne et transposition nationale). Les enjeux techniques (logs, mises à jour) sont alors centraux.

3.3 Le gardien / propriétaire du véhicule (responsabilité du fait des choses)

  • En droit français, la responsabilité du gardien de la chose est une voie fréquente : si la voiture (chose) a causé un dommage, le gardien peut voir sa responsabilité engagée indépendamment d’une faute. Toutefois, l’exonération est possible si le gardien prouve une cause étrangère étrangère ou force majeure, ce qui est rare techniquement.

3.4 L’assureur

  • L’assureur du véhicule doit régler l’indemnisation dans un premier temps, puis se retourner contre le responsable réel (action récursoire). Les règles d’assurance restent essentielles pour la réparation rapide de la victime. Les assureurs peuvent mandater des contre-expertises techniques.

4) La preuve technique : boîte noire (EDR), logs, mises à jour

  • Depuis 2022, les véhicules neufs immatriculés récemment sont équipés d’enregistreurs de données d’événement (EDR / « boîte noire ») qui enregistrent des paramètres clés (vitesse, action du frein, état des systèmes, etc.) ; ces données sont déterminantes pour reconstituer l’accident et établir la responsabilité. L’accès et l’exploitation de ces données sont encadrés (forces de l’ordre, justice, experts) et soulèvent des questions RGPD/données personnelles.

  • Pour les véhicules à délégation de conduite, des systèmes de stockage supplémentaires (DSSAD / « data storage for automated driving ») peuvent enregistrer l’état de délégation (autopilot activé, demande de reprise au conducteur, etc.). Ces éléments techniques pèsent souvent de façon décisive lors d’une expertise.

5) Stratégie pratique pour la victime — checklist

Voici quoi faire dans les 48h pour ne pas ruiner son futur dossier :

  1. Sécuriser la preuve : noter immédiatement le lieu, témoins, photos, préserver le véhicule (ne pas modifier la configuration), signaler l’accident aux forces de l’ordre.

  2. Saisir l’assurance : déclarer le sinistre dans les délais et demander la prise en charge.

  3. Faire constater médicalement les blessures : certificat médical, hospitalisation, arrêt de travail.

  4. Conserver communications / mises à jour : factures, courrier, notification de mise à jour du véhicule.

  5. Demander expertise indépendante : si possible, demander une contre-expertise technique (spécialiste de la data automobile).

  6. Consulter un avocat spécialisé en dommage corporel pour coordonner l’action civile et, si nécessaire, pénale.

6) Cas pratiques (exemples illustratifs)

  • Scénario A — autopilote activé, collision sur autoroute : logs montrent que le système a commandé une trajectoire inadéquate ;
    responsabilité technique possible du constructeur (produit défectueux) + indemnisation par l’assureur, puis recours.

  • Scénario B — assistance freinage imprévue, conducteur distrait : responsabilité partagée (contributive) entre conducteur et constructeur selon preuve d’entretien / patch logiciel. Légifrance

7) Points de droit utiles & références (sélection)

  • Ordonnance n°2021-443 du 14 avril 2021 (régime de responsabilité pénale applicable aux véhicules à délégation de conduite).
  • Décret n°2021-873 du 29 juin 2021 (modalités d’application de l’ordonnance précitée).
  • Responsabilité extracontractuelle (Code civil) — art. 1240 et suiv. (faute) ; responsabilité du fait des choses (art. 1242, jurisprudence « Jand’heur »).
  • Règlement européen / enregistreurs EDR (Règlement de sécurité générale et règles relatives aux EDR et homologation depuis 2022).
  • Directive européenne responsabilité produit / révision (produits défectueux).

FAQ — questions concrètes que posent les victimes

Q1 — Si ma Tesla en autopilote me percute et que je suis blessé, qui paie d’abord ?

R : Votre assureur (assurance auto) prend en charge l’indemnisation dans un premier temps. Ensuite, l’assureur peut se retourner contre le présent responsable (constructeur, propriétaire) si la faute technique est prouvée. Les données EDR / logs seront essentielles.

>>> Indemnisation des accidents de circulation, qui paye ?

Q2 — Puis-je obtenir les « données » de la boîte noire pour ma défense ?

R : L’accès aux EDR/DSSAD est strictement encadré : en pratique, l’extraction se fait par des enquêteurs, experts judiciaires ou sur réquisition. Un avocat peut obtenir la production des données dans le cadre d’une procédure.

Q3 — Que faire si le constructeur refuse la responsabilité ?

R : Demander une expertise indépendante, conserver toutes preuves (mises à jour logicielles, factures, témoins), et saisir l’assurance ou engager une action civile ; l’avocat pourra demander les mesures d’instruction nécessaires (expertise judiciaire, commission rogatoire, etc.).

Q4 — Existe-t-il une jurisprudence française tranchant la responsabilité d’un logiciel d’autopilote ?

R : À ce jour, la matière est encore émergente ; la législation a posé un cadre (2021) et les décisions majeures restent rares. Les affaires se jouent souvent sur l’interprétation technique des logs et le caractère défectueux ou non du produit.

Q5 — Le RGPD empêche-t-il l’utilisation des données pour prouver la responsabilité ?

R : Non, le RGPD s’applique à la protection des données personnelles, mais l’accès aux données d’accident est prévu pour les enquêtes judiciaires et expertises techniques ; il faudra toutefois respecter les règles de confidentialité et les procédures légales d’accès.

Conclusion — Message pratique pour les victimes

Les véhicules autonomes ne suppriment pas la possibilité d’être indemnisé : ils déplacent la complexité vers l’analyse technique et la preuve (EDR, logs, mises à jour). En pratique, la réparation commence par l’assurance, mais obtenir la réparation intégrale peut exiger une expertise technique poussée et l’intervention d’un avocat spécialisé en dommage corporel capable d’orchestrer l’extraction et l’interprétation des données. Si vous êtes victime d’un accident impliquant un système autonome ou une assistance défaillante, conservez tout, faites constater médicalement vos blessures, et contactez un avocat en accident de la route.

Bibliographie / Références

  • Ordonnance n°2021-443 du 14 avril 2021 (responsabilité pénale véhicules à délégation de conduite).
  • Décret n°2021-873 du 29 juin 2021 (modalités d’application).
  • Code civil — responsabilité extracontractuelle et responsabilité du fait des choses.
  • Règlementation / EDR (boîte noire) — obligation d’enregistreurs depuis 2022.
  • STRMTG / Ministère — cadre de démonstration et homologation des systèmes automatisés. strmtg.developpement-durable.gouv.fr
  • Directive UE 85/374 sur la responsabilité du fait des produits (et ses actualisations).